09 septembre 2006

la princesse et le dragon

suite et fin

En mai fais ce qu'il te plait, mais la sagesse populaire ne faisait peut-être pas allusion au fait de se baigner toute habillée dans de l'eau passablement froide.
Princesse Clothilde eut un peu de mal à remonter à la surface, le souffle coupé par le plongeon - un
plat d'anthologie, puis à rester la tête hors de l'eau en attendant de trouver quoi faire et où aller.
La terre ferme lui paraissait infiniment lointaine mais vu qu'elle avait bu la tasse, elle savait que ce n'était pas la mer, un lac peut-être ?
non, pas un lac, car un fort courant la détournait de la rive qu'elle avait entrepris de rejoindre, d'une brasse pataude et emberlificotée dans ses vêtements.
Assez vite elle fut épuisée et se contenta de flotter en se laissant dériver.
Mais au fait le dragon, pensa-t-elle, soudain, et elle leva les yeux, le trouva, planant à peu près à sa verticale. Il ne doit pas aimer l'eau, tant mieux, qu'il aille au diable, d'ailleurs le diable saura surement l'employer si ce qu'on dit de l'enfer est ne serait-ce qu'à moitié vrai.
Elle se refroidissait vite maintenant qu'elle ne nageait plus, elle se sentait lourde, attirée vers les profondeurs.
Tandis que ses forces l'abandonnaient peu à peu, son esprit réfléchissait avec reconnaissance envers mère nature qu'au moins les fleuves étaient dépourvus de requins, murènes, pieuvres géantes, et autres orques affamés, quand une truite avec une minuscule couronne dorée sur la tête sortit celle-ci de l'eau sous son nez, et lui parla avec un léger accent anglais :
"
n'ayez pas peur, princesse (trop tard, songea-t-elle), nous ne vous voulons pas de mal. Il y a une île pas loin, le courant vous y portera si vous tenez le coup encore dix minutes. Nous pouvons vous soutenir un peu, si vous le souhaitez.
Elle hocha la tête et sentit des drôles de choses vivantes se glisser sous elle et soulager une partie de son poids. Des truites sans doute. Elle eut un sentiment de culpabilité en repensant aux truites au barbecue savourées l'été dernier. Ses pensées vagabondèrent jusqu'à son jardin, son arbre où elle s'installait pour lire, les chats qui lui rendaient visite, les copines, ses
"Princesse ! Princesse ! il ne faut pas vous endormir !"
C'était la reine (ou le roi) truite. Flûte, il ou elle ne pouvait pas la laisser rêvasser en paix !
La truite réussissait on ne sait comment à avoir l'air inquiet, et Clothilde se sentit coupable à nouveau. Ils sont gentils de se soucier de moi. Elle chantonna afin de rester éveillée.

La maman des poissons elle est bien gentille
...
on ne la voit jamais froncer les sourcils
...
et moi je l'aime bien avec du citron.

Oups, j'ai pas très bien choisi ma chanson.
Une truite lui fit un clin d'oeil, c'était possible ça ?!?
Elle ferma des yeux et se laissa bercer par le courant.
"- Princesse ne dormez pas, nous serions obligés d'utiliser les grands moyens !"
- Je ne dors pas, je ne
Les grands moyens pour la réveiller, c'était les matins d'école quand son père la soulevait carrément du lit, tandis qu'elle tentait de s'accrocher aux draps et aux oreillers, et la descendait à la cuisine où il la déposait sur une chaise trop inconfortable pour y continuer sa nuit. Mais c'était quoi les grands moyens pour des poissons ?
Elle sauta presque hors de l'eau avec un cri d'effroi en se sentant traversée par une décharge électrique.
"toutes mes excuses, princesse", dit une espèce de serpent -une partie de son cerveau chuchota anguille électrique.
Elle était hyper bien réveillée maintenant, et si elle revoyait son papa un jour, elle passerait sous silence cette partie de son aventure, des fois que ça lui donnerait des idées.
Elle se dirigeait bien vers une île, elle la voyait désormais, une plage de sable, des roseaux, des arbres même.
Elle aurait bien fait du farniente sur la plage, encore eut-il fallu qu'il ne pleuve pas. Le dragon l'attendait sur un rocher. Elle l'ignora.
Elle trouva un arbre pour s'abriter, décida de ramasser du bois mort pour le mettre au sec.
"
- Monte sur mon dos, tu ne vas pas jouer les Robinson Crusoé sur cette ile.
- Je préfère ça à sauter en parachute sans parachute. La prochaine fois que tu me laisses tomber ce sera au-dessus de quoi ? Rends-toi utile, gros lézard, allume ce tas de bois.
- Il est tout mouillé, ton bois."
Il l'alluma cependant, ça faisait beaucoup de fumée mais c'était bien agréable, après toutes ces émotions. Elle s'endormit même un moment, hypnotisée par les flammes. Elle se sentait presque super en forme à son réveil. Elle avait faim, il y avait encore une moitié de clafouti aux cerises qui l'attendait dans son frigo. Si son frère ne l'avait pas déjà fini pour fêter sa disparition.

Un animal s'approchait, avançant tout droit vers elle, ça ressemblait à un castor si ses livres ne racontaient pas des salades. Elle se demanda si le castor avait bon gout, roti au-dessus d'un feu de camp. Il serait plus fumé que roti, mais ça pouvait être bon. Quoique de la viande sans sel, elle avait des doutes.

Elle abandonna l'idée de le manger lorsqu'il lui fit une profonde révérence.
"
majesté, nous vous avons apporté une embarcation, vous ne pouvez rester sur cette ile. Le sniffle va bientôt sortir de son hibernation. Vous voulez bien me suivre ?".
Elle préféra ne pas demander ce qu'était un sniffle.
Il y avait une jolie petite barque vert pomme qui l'attendait dans une anse abritée du courant. Les avirons avaient l'air un peu lourds pour elle mais après avoir cogné dans plusieurs rochers, éclaboussé tout ce qu'elle avait précédemment réussi à faire sécher de ses vetements, et fait faire trois tour complet sur elle-même à son navire d'aventurière, elle dompta la bête. Elle trouva même la traversée trop courte, elle aurait bien ramé encore, c'était si délassant.
Sa sérénité nouvelle fut écornée en découvrant encore le dragon, posté sur une souche comme une gargouille sur une église.
"mais c'est pas vrai ! tu ne peux pas me foutre la paix ?"
Il prit un air de chien battu, mais la suivit à distance.
"-
Je peux te donner un coffre plein d'or et de diamants.
Ou un coffre de bonbons et de chocolats.
Princesse Clothilde opta pour le silence, ça marchait trop bien avec Guillaume quand elle voulait le faire tourner en bourrique, ou s'en débarasser.
- Tu ne voudrais pas les 3 robes confectionnées pour la princesse peau d'âne ?
La lampe d'Aladin ?
l'elixir de Jouvence ?
Là elle ne put s'empêcher de le regarder d'un air narquois. Quel abruti !
Oooohh pardon ! plutôt une potion magique contre l'acné alors ?
Grrrrr, s'il continue ainsi, elle va le dépecer avec ses ongles et calmer sa faim avec du dragon cru, les japonais mangent bien du poisson cru, à ce qu'elle a lu dans son "petit quotidien".
Excalibur ?
le Saint Graal ?
l'Anneau Unique ?
une cape d'invisibilité ?
la carte du trésor de Surcouf ?
Il continuait son espèce d'énumération de bazar oriental mais elle ne l'écoutait plus, elle avait trouvé une route, une vraie, recouverte avec ce bon vieux goudron, sans les voitures roulant dessus normalement mais elle avait retrouvé la civilisation et se sentait pousser des ailes aux pieds, comme ce Dieu qui portait des messages chez les grecs avant l'invention des mails et des sms.
les haricots magiques ?
un abonnement à vie à Gala ?
le régime secret qui permet aux sorcières de rester toujours maigres ?
Elle stoppa net, le regarda intensément, se fichait-il de sa gueule ?
Non elle ne se laisserait pas acheter !
Peut-être cela n'engageait à rien de demander des précisions ?
Elle ouvrit la bouche et la laissa ainsi en entendant une voix surgir des fourrés sur sa gauche.
"Eloignez-vous de ce sanglier, m'dame".
Elle le vit, un homme barbu, avec un bizarre costume de plusieurs teintes de vert, et il tenait un fusil, ou peut-être c'était le fusil qui essayait de le tenir car l'ensemble tanguait dangereusement.
Le canon pointait un peu trop à son gout dans des directions aléatoires. Le dragon s'était tu, il se demandait peut-être si c'était un chevalier.
Il y eut un coup de tonnerre, puis un cri, un cri de dragon qui tombait de tout son poids, en l'occurrence.
Elle se précipita vers le dragon, et l'autre - un chasseur, voila ce que c'était, elle reconnaissait le treillis, la gibecière, la ceinture de munitions autour de son énorme bedaine - cria :
"attention, m'dame, y a pas plus vicieux qu'un sanglier blessé, j'vous l'dis et j'm'y connais".
Elle s'agenouilla, ouf le dragon était encore vivant. Pas très vivant. Elle pleurait, en se disant que c'était idiot, elle ne le connaissait pas la veille et n'avait eu que des ennuis grâce à lui.
"
Heureusement que j'étais là, ma mignonne, je t'ai sauvée la vie". C'était le chasseur.
Il avançait bizarrement et son regard était carrément effrayant.
"tu devrais me remercier en étant très gentille avec moi, aucune femme ne l'a jamais regretté, elles en redemandent même..."
Mais c'est quoi ce délire, il ne voit pas que je suis une petite fille ? Elle recula au moment où il tendit la main vers elle et il tomba de tout son long comme une grosse barrique. Elle sursauta en entendant le coup de feu. Le chasseur ne se relevait pas. Allons bon il ne bougeait plus du tout, il n'a quand même pas réussi à se zigouiller tout seul ?
Un lapin sortit d'un buisson, puis deux perdrix et toute une famille de faisans s'approchèrent, ils la félicitèrent, la congratulèrent, la remercièrent, on aurait dit qu'elle avait marqué un but en finale de coupe du monde.
Là c'était trop, sa cervelle frisait le court-circuit. Elle ne savait plus si elle devait pleurer ou rire.
Le dragon rampait vers le fossé.
"Hé ! où vas-tu comme ça ? il faut euh attendre les secours ? l'ambulance, tout ça !
- Inutile. C'est vexant de mourir tué par un chasseur ivre mort incapable de viser correctement un troupeau de bisons s'il en existait encore, plutot que par un preux chevalier, mais c'est comme ça. Maintenant je dois me cacher.
- Comme les éléphants qui rejoignent le cimetière des éléphants ?
- Presque comme les éléphants.
Il s'approcha d'un fourré empli de ronces et plongea dedans comme si de rien n'était.
- J'ai atteint mon but, finalement. Je suis désolé pour toi, tu n'as pas rencontré un beau chevalier.
- Ce n'est pas grave, je n'ai pas envie d'épouser un chevalier qui ne s'intéresse qu'à guerroyer, s'entrainer, et pourfendre tout ce qui passe. Je veux épouser un médecin, moi, j'aurais bien épousé mon médecin mais maman dit qu'il est trop vieux pour moi, alors j'en chercherais un plus jeune.
- Je suis sûr que tu vas trouver, tu es une jeune fille de caractère. Tu dois t'en aller maintenant.
Princesse Clothilde fit "non" de la tête et s'assit le plus près possible de la tête du dragon.
- Quel est ton nom ?
- Je n'ai pas de nom.
- Tu n'en as pas ? mais tes parents ils ont bien du ...
Il y avait une lueur amusée dans l'oeil du dragon.
- Non bien sûr. Pardon. J'avais oublié.
- C'est moi qui te demande pardon.
Si seulement elle était médecin. Elle lui caressait la tête et ne voyait pas quoi faire d'autre.
Ce fut aisé de voir quand il mourut, d'abord elle n'entendit plus sa respiration rauque, puis la flamme qu'on entrevoyait au fond de sa bouche s'éteignit.
Plus tard elle se releva, rejoignit la route déserte et entreprit de la suivre. Elle n'était pas pressée. Il fallait qu'elle invente une histoire vraisemblable pour ses parents, une histoire qui ne soit pas un conte à dormir debout.

16 commentaires:

FD-Labaroline a dit…

Aaaaahhhh... mais c'est triiiiiste ! Et contrairement aux apparences, ça n'est pas un conte pour enfants mais quand même, la fin est bien triste même pour un adulte. J'ai une idée, j'ai une amie qui habite ta ville et qui est illustratrice de livres pour enfants (elle fait des trucs de princesses aussi) , mettez-vous en cheville ! (20% de com pour moi merci)

Anonyme a dit…

Ah...Mais tu m'as tenu en haleine !!! (de dragon ! non j'rigole!) Mais c'est pas mal du tout!!!
Vraiment !
Tu en écris souvent ?
Tu l'as lu à tes enfants , j'espère ! J'suis sûre qu'ils ont adoré ! Moi oui , en tous cas ! :-))

tirui a dit…

50% même si tu veux, fd. ;-)
je suis curieux de savoir qui est cette illustratrice qui habite ma ville.
(la vraie vie est triste aussi)

avanaé, pas encore lu à mes enfants, faut que je trouve le temps.
Non c'est le premier conte que j'écris, y a déjà tellement de gens qui en écrivent que c'est pas vraiment la peine de m'en mêler aussi, mais c'était pour voir si j'y arrivais.

FD-Labaroline a dit…

C'est vu, tu y arrives, à écrire des contes, alors maintenant continue ! Tu vas lire à tes enfants et quand ils te demanderont "ça veut dire quoi "tu devrais me remercier en étant très gentille avec moi, aucune femme ne l'a jamais regretté, elles en redemandent même..." ? Tu leur répondras quoi ? Moi je me sens pas trop surtout avec mes dadets de 11 et 13 ans qui rifougnent déjà bêtement pour moins que ça !! Quant à mon amie auteur-illustratrice... cherche dans les beaux albums de princesses pour enfants, je suis sûre que tes enfants en ont eu un sans savoir qu'elle était voisine.

Petits Petons a dit…

Ouf! Il faut avoir du souffle pour lire tout ça, il s'en passe des choses en si peu de ligne!
Tu avais un coup de blues en écrivant? Elle est toute sombre ta fin d'histoire...:-/

Et puis, tu est certain qu'elle n'a que 10 ans Clothilde?? Intéressée par les régime minceur, besoin d'un potion anti-boutons, plutôt calme devant la mort coup sur coup d'un chasseur et du dragon. Il m'en faudrait moins pour m'ébranler, je ne dois pas avoir le tempérament princier!!

Anonyme a dit…

mais c'est super triiiiste ca !!!

ah non alors , je veux une autre fin avec le dragon vivant, le prince charmant et tout et tout ...c'est trop triste la...

tu me fiche le scarabe...

tirui a dit…

fd, bon déjà je sais qu'il n'y a que des adultes qui lisent mon blog alors j'ai écrit pour des adultes. Sans doute que pour lire à mes enfants je supprimerai certaine déclaration du chasseur pas très compéhensible pour eux, ou m'astreignerais à des explications de texte. L'important était surtout de rendre le chasseur très antipathique et méritant plus ou moins ce qui lui arrive. o:-)

petitspetons, tu sais, les jeunes d'aujourd'hui grandissent plus vite qu'avant ;-)
Dans l'école primaire de ma fille il y avait des filles de cm2 (10 ans donc) qui se faisaient vomir dans les toilettes, l'an dernier, pour des histoires de ligne. C'est triste mais c'est malheureusement vrai.
Quant au tempérament princier, oui c'est bien entendu une vertu cultivée par les princes que le controle de soi.

tirui a dit…

tiens cahuette tu es là, tu sais que tu peux changer la fin à ta guise, ça ne me dérange pas le moins du monde.
Personnellement j'ai bcp de mal avec la formule consacrée "et ils eurent bcp d'enfants et vécurent heureux pour toujours".

Anonyme a dit…

naaan vais pas changer la fin trop parresseuse...

mis je lui lirais la fin de l'histoire plus tard, grandlutin est deja bien assez traumatise par la rentree des classes pour ca

d'ailleurs je suis preuneuse de conseils pour eviter de le trainer en dehors de la maison et de faire 1/4 d'h de marche a pied rythmee au son de ses hurlements sanglotants.....

tirui a dit…

y a surement de meilleures solutions mais il m'est arrivé d'acheter le silence pendant le trajet vers l'école avec une friandise. Un enfant pleurniche moins la bouche pleine, déjà. Surtout s'il est surpris et ravi d'avoir droit à qqchose d'inhabituel.
Au bout d'un moment je suppose que ça ne fonctionne plus.

Anonyme a dit…

contrairement a sa mere , il n'aime ni les bonbons ni les gateaux...

ce que je n'explique pas c'est qu'il n'a pas fait ca l'an dernier alors qu'il debarquait ds une ecole en langue etrangere...

leymia a dit…

J'ai bien aimé, ça m'a même fait rire. Même la fin j'aime bien moi, même si ça finit trop vite ! snif !
un autre ?

tirui a dit…

cahuette, les enfants sont des êtres bizarres et imprévisibles. ou alors c'est nous. enfin bon tu connais le fossé des générations...

leymia, tu es bien la seule à avoir remarqué que c'était un conte pour rire. Il n'y en aura pas d'autre, je suis un artiste incompris :-))

leymia a dit…

Tu pourrais en écrire rien que pour moi ? non ?
non ! :-(

Anonyme a dit…

comment ca il n'y en aura pas d'autres ??? ah non alors???grandlutin a adore!! tu ne peux pas briser ses reves et ses attentes comme ca??!!

tirui a dit…

leymia, déjà je vais avoir moins de temps maintenant, va bien falloir que je travaille de temps en temps...(et l'educ nat ne me paye pas pour écrire des contes, bizarrement)

cahuette, si si, je peux :-))
(grandlutin devrait pouvoir se consoler avec les histoires de roald dahl)