Le week-end dernier, un élève du collège de filsainé est décédé, semble-t-il en se jetant par une fenêtre. Je dis "semble-t-il" parce que les informations sont distillées au compte-gouttes par le collège, afin de respecter les demandes de discrétion de la famille, au point qu'on cherche même en vain dans le journal local une allusion ou annonce.
Dans un premier temps ça a relevé l'opinion que j'avais des journalistes, capables de se taire pour respecter la douleur d'une famille, dans un second temps je me suis demandé combien chaque année (ou chaque mois) de faits divers sont passés sous silence et que s'en rendent compte seulement ceux directement ou indirectement concernés.
Pendant deux jours les adultes se sont beaucoup agités, du proviseur au parents d'élèves, bien plus que les élèves eux-mêmes, devenus soudain le centre de toutes les attentions.
Filsainé ne parait pas du tout perturbé, je n'ai eu droit lundi soir qu'à "tout le collège ne parlait que de ça", puis mardi, quand j'ai su le nom, à "oui je connais, c'était une des racailles qui nous emmerdaient", et plus tard des explications du geste, qui sont soit la version officielle des adultes du collège, soit celle des élèves entre eux, qu'il me ressort : "il avait des problèmes au collège, et il s'est fait engueuler par ses parents à cause de ça", sans que fiston ne paraisse se demander comment cela peut être suffisant pour se tuer.
Il est difficile de savoir ce qui se passe dans un collège quand on n'y est pas, mais j'ai un peu l'impression d'une fracture entre des enfants qui se font appeler "intellos" et d'autres qui se font appeler "racailles", ou se désignent eux-mêmes ainsi par défi.
Les "intellos" ne sont sans doute que des élèves qui obéissent aux adultes, sans forcément d'ailleurs avoir de si bonnes notes ou être si sages qu'il y parait, tandis que les "racailles" ne sont que des élèves qui veulent paraitre en rebellion et ne le sont pas forcément tant que ça non plus, ou qui veulent avoir l'air de durs-à-cuire. L'un d'eux au moins n'en avait que l'air.
Et il y en a sans doute plein qui ne sont pas étiquetés, je suppose.
Fiston est-il insensible ? je me suis posé la question cette semaine, après sa réponse pas très charitable, me souvenant de théories sur cette génération grandie avec les jeux vidéos et pour qui la mort est dématérialisée.
D'autant plus qu'un de ses derniers jeux en date, "black and white", passe un cap dans le sentiment de toute-puissance du joueur : le joueur n'est plus un héros ou un général, il est un Dieu qui dirige une créature et un peuple. Et récemment j'ai entendu avec une certaine gêne qu'il s'amusait à être un Dieu méchant dans une partie.
D'un autre côté, même en tenant compte de ma partialité de père, je n'arrive pas à l'imaginer être autre chose qu'un adolescent plutôt respectueux des autres (autres que ses parents dont il teste évidemment les limites, le contraire m'inquiéterait), détestant la violence réelle, et compatissant, de manière certes plus théorique que pratique, avec les misères du monde et les malheurs des gens.
et très sensible pour certaines choses, il me surprend parfois à avoir les larmes aux yeux si je m'énerve à peine en faisant un exo de maths avec lui. (pas facile d'être fils de prof de maths, je sais)
Je me suis souvenu aussi que l'histoire bégaie et qu'au même âge c'est dans ma propre classe qu'un élève est mort, dans un stupide accident de mobylette sans casque, et que je suis allé à l'enterrement sans ressentir grand chose, n'ayant jamais échangé un mot avec cet élève.
Donc soit on est insensible de père en fils, soit c'est une réaction "normale".
* Victor Hugo again (désolé, j'ai étudié les Contemplations en prépa et ça m'a marqué)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
24 commentaires:
Réflexe d'autoprotection peut-être ?
Tiens, ça me fait penser à une histoire, avec le décès d'une petite fille dans l'école de Boubou, suite à une maladie foudroyante que d'ordinaire, on appelle longue.
Je crois que nous, adultes, avons été beaucoup plus impressionnés et traumatisés que nos enfants eux-mêmes. Ok, Boubou était beaucoup plus jeune, à l'époque, que Filsainé ne l'est aujourd'hui, mais quand même, alors que les instits nous disaient qu'il fallait en parler avec les enfants, le nôtre semblait insensible et pas touché !
bref !
Quand j'étais au collège, une fille de mon cours d'italien est morte lors d'un voyage en Italie dont je n'étais pas... Je n'ai pas le souvenir d'avoir ressenti quoi que ce soit, là aussi tout le collège était en émoi, la prof d'italien a pris quelques jours de congé et j'étais contente d'avoir quelques heures de perm dans ma semaine... Insensible ? je n'en sais rien...
La mort d'un enfant est tellement "aberrante" que peut-être quand on a cet âge-là ça reste abstrait, on n'y croit pas vraiment.
De plus, c'est très différent de perdre un ami, un frère, et de voir mourir un parfait inconnu, dont on n'a en commun que l'âge et l'établissement scolaire...
J'ignorais qu'on étudiait Victor Hugo en prépa scientifique ?
(parce qu'en revanche, en hypokhâgne, on n'étudie pas le théorème de Pythagore, ni aucun autre d'ailleurs, Dieu merci !!)
je pense pas que ce soit de l'insensibilite, mais a cet age on est assez indifferent a l'idee de la mort, ca reste une notion abstraite, ca nous touche mais sans plus....
qd j'etais etudiante aux arts appliques, un etudiant de ma classe s'est suicide, c'etait la grande mode des jeux de roles, ca nous a touche, mais sans plus....
ça n'est pas parcequ'il ne dit rien sur le coup que ça ne le marquera pas longtemps, voire à vie. Et en parler avec eux même si ça n'est qu'un monologue de parent, je pense que ça peut tout de même les aider un peu à digérer la chose "à l'insu de leur plein gré".
Je crois que les parents ne peuvent s'empêcher d'imaginer que ce gamin, ça pourrait peut-être être le leur. Alors que pour les autres collégiens, surtout ceux qui ne le connaissaient que peu, c'est juste un type qui est mort, c'est pas réjouissant, mais voilà... un peu comme si un adulte de ton quartier que tu croises de temps en temps au pain meurt, tu n'es pas particulièrement traumatisé (ou alors je suis vraiment insensible ?).
Viviana, eh oui, en taupe on a aussi du français... normal, les concours d'entrée voulant s'assurer que l'on est capable d'aligner trois mots, analyser un texte, développer une pensée, toutes choses qui seront fort utiles par la suite pour taper de jolis rapports (par exemple) - ou faire un blog. Enfin, le tout pour un coefficient aussi ridicule que le nombre d'heures par semaine, évidemment.
j'étais dans un lycée où en prépa se suicidait pratiquement un jeune par an....ça fait froid dans le dos, mais je me souviens qu'à l'époque, nous étions choqués, mais pas tant que ça.
Et pas très tristes non plus en fin de compte. C'est vrai que la mort est abstraite, quand on est jeune. Moi c'est maintenant que je suis réellement triste face à ce genre de drame.
bon, pis c'est vrai que les matheux, vous êtes pas cablés pareil que nous...
cela étant, tu as raison de souligner qu'hugo traumatise....moi c'est la légende des siècles que j'ai étudiée en prépa et franchement, on finissait par en rêver la nuit et en alexandrins, qui plus est ....
tu sais, ça me fait penser au mot de je ne sais plus qui, gide ou un de ses potes, à qui on demandait qui était le plus grand écrivain français et qui a répondu "Hugo, hélas...."
erika, peut-être (et peut-être pas)
rdt, peut-être on les (sur)protège plus qu'ils n'ont besoin dans certains domaines (et pas assez dans d'autres que nous ne soupçonnons pas, avec notre mentalité d'adulte)
viviana, pourtant ce n'est pas si abstrait que cela, puisqu'il le voyait et sait qu'il ne le reverra plus.
Heureusement qu'il y avait du français en prépa scientifique sinon je serais devenu fou !
(si je me souviens bien il y avait 4 oeuvres à étudier du point de vue littéraire et philosophique, sur 2 années, largement le temps de s'imprégner à fond des 4)
cahuette, te connaissant ça n'a sans doute pas touché ton appétit d'estomac sur pattes ;-)
fd, s'il est comme moi, ce sera de n'avoir rien ressenti, ce dont il se souviendra toujours.
krazy kitty, oui en fait on plaque nos émotions d'adultes sur des enfants, alors qu'il n'y a aucune raison qu'ils ressentent la même chose que nous.
(je m'en fichais un peu du coefficient, faire du français était ma récréation quand je n'en pouvas plus de bouffer de la physique, de la chimie ou du dessin industriel)
emmanuelle, tiens donc nous ne sommes pas cablés comme vous ?!
"ah insensé, qui crois que je ne suis pas toi" (totor, Les Contemplations)
;-)
moui mais maintenant c'est Proust notre plus grand écrivain.
(mais y a des trucs chouettes, et d'autres kitschissimes, dans la Légende des Siecles)
touuuuut de suite....comme si je pensais qu'a manger , je pense a autre chose ausi, mais hum, bon...
non il est vrai que j'aime manger et pardon je ne grossis pas (aie pas taper) aussi meme qd j'accouche je pense a mes repas....veridique....
tiens d'ailleurs c'est l'heure de dejeuner
a taaaaaable......
en passant hier c'etait mercredi, chez certaines le mercredi c'est poesie toi c'est patisserie t'as fais quoiiiii ??????????
moi j'ai fais une brioche qu'avec du nutella ca vous cale la cahuette !!!
Les enfants sont parfois plus sincères que nous dans leur rapport à la mort. Il ne le connaissait pas ? Il se faisait emm.... par lui ? Alors pourquoi feindre une tristesse quelconque.
Oui, certes, la mort d'un enfant nous choque nous, parce que nous sommes (ou amenés à être) parents. Mais les enfants,ils ont leur propre ressenti. Je ne pense pas que ton fils soit insensible.
Sinon, heu, les contemplations ? Et t'as tenu le choc ? félicitations !
Peut-être que simplement quand on est ado on a plus de mal à ressentir de la peine par procuration. Que quand on n'est pas touché directement on voit les choses de façon plus détachée.
J'ai perdu une tante vers 8ans, et je me souviens m'être demandé pourquoi je n'étais pas réellement triste. Je me trouvais horrible de ne pas pleurer alors que tout le monde était effondré.
Pourtant, aujourd'hui, les drames des autres me touchent beaucoup plus, et je suis capable de pleurer comme une bécasse devant le JT...
Pour finir sur Black and White, justement je viens de m'y mettre. Et moi aussi je trouve ça super drôle de jouer un mauvais dieu. de dire à ma créature de bouffer tout ce qui bouge juste pour le fun. Ca permet de faire ce qu'on s'interdit dans la vraie vie. :o)
concernant ton fils, je suis tentée de dire un peu comme ds les précédents comm': qu'à cet âge-là, la mort c'est plutôt abstrait ou du moins, on ne visualise pas forcément les conséquences sur le long terme?
et puis, c'est vrai aussi que si ton fils avait eu qq démêlés avec le jeune en question, dur pour lui sans doute d exprimer (mais p-ê pas de ressentir..)de la tristesse..
j'ai lu ton billet ds l'après-midi et je dois te dire que j'ai beaucoup pensé à ce jeune..une défenestration c'est vraiment un acte sans appel, sans retour en arrière, pas un appel au secours comme on dit parfois des tentatives de suicide, mais une volonté d'en finir..qu'est ce que c'est triste..je pense à ses parents..à leur chemin maintenant; continuer quand même, malgré tout..mon dieu que je les plains.. cette histoire tragique me renvoie à une histoire tout aussi tragique: il y a 1an, le fils (17 ans) d'un copain fugue. pas de nouvelles, aucune trace, son portable ne répond plus, les semaines passent, l'espoir de le retrouver vivant s'amenuise..et 3 mois après sa disparition, des promeneurs découvrent un cadavre pendu à un arbre..comment continuer après ça?? et quel gâchis.. ces vies qui s'interrompent.. pardon je fais long..mais ça me touche tellement..
Désolée mais ce qui me choque moi, c'est ça : "oui je connais, c'était une des racailles qui nous emmerdaient"
Au delà d'un éventuel réflexe d'auto-protection ou d'une indifférence naturelle à cet âge au sujet de la mort, j'espère sincèrement qu'il n'estime pas que la mort de ce jeune homme est sans importance car il s'agissait d'une "racaille' et qu'il les "emmerdait" !
je crois qu'on se rend pas completement compte à cet âge-là. Ca a pas grand chose à voir avec ton fils mais qd j'avais son âge, un jour entre midi et deux, une fille est montée sur le toit du collège pour sauter, alors forcément y avait plein de pompiers mais les eleves etaient là à crier "saute, saute!" c'est affreux hein?! je crois que certains etaient contents qu'il se passe un truc qui sortait de la routine du collège mais je ne me souviens pas avoir vu de la peur sur les visages des eleves.
pour ton fils je suis assez d'accord avec cahuette, je crois qu'à cet âge là on perçoit pas les choses de la même manière, certaines choses nous atteignent moins.. là je parle peut-être pour moi mais je pense vmt qu'à cet âge là on se rend moins compte de la gravité, de l'ampleur d'un tel évènement (et c'est valable pour d'autres cas)
Non, pas insensibles de père en fils, juste de la distance par rapport à un mort dont on n'était pas proche. Je rejoisn en cela les commentateurs précédents : ce n'est pas parce que l'on est dans le même collège qu'on est amis ! Sommes-nous attristés de la mort d'un voisin à qui nous ne parlons jamais ? d'un collègue détesté ? Non, mais nous faisons comme si, nous donnons le change. Eh bien ton fils est franc et j'imagine qu'il en serait tout autrement si le jeune disparu avait été son ami.
cahuette, j'ai refait un clafoutis aux cerises, autant en profiter en ce moment...
elsa, je pense comme toi, y compris à propos des Contemplations ;-)
cely, je n'ai pleuré à la mort d'aucun de mes grands-parents et pourtant tous je les aimais.
A part ça je vais peut-être me mettre à Black and White suivant ton exemple, si ça soulage les frustrations nées de l'observance de la morale.
art.truk, ce suicide me touche aussi, il m'en rappelle un autre, celui d'une voisine provisoire, avec un air tristounet, à qui j'aurais bien parlé mais ne l'ai pas fait par timidité, et dont j'ai appris longtemps après qu'elle s'était jetée dans la Seine.
nevrosia, il n'a pas dit "je suis bien content qu'il soit mort, cette racaille", mais il a répondu simplement à la question que je posais, à savoir s'il le connaissait. Il a donné cette information sans diplomatie pour en atténuer l'aspect choquant, ni respecter cette tradition qui veut qu'on ne dise plus de mal des gens une fois qu'ils sont morts. Si je n'avais pas posé la question, il n'aurait certainement rien dit du tout.
kürbis, peut-être ne se rend-on pas compte à cet âge, encore que 13 ans c'est déjà grand. Je penche pour l'hypothèse qu'on n'a pas envie de partager ses ressentis avec des "vieux", fussent-ils son père ou sa mère.
telle, je trouve comme toi qu'il entre beaucoup d'hypocrisie dans la tristesse que montrent les adultes face à des morts pas très proches.
Filsainé a de la chance d'avoir un papa si proche de lui (juste dommage qu'il soit prof de math. Enfin personne n'est parfait :-D). Ton commentaire m'a fait rechercher les impressions que j'ai eues quand il y a eu des décès autour de moi et je confirme qu'adolescent, on ne voit pas la mort avec la même sensibilité que plus tard (plus on prend de l'âge plus c'est pire).
ben oui, mais en même temps j'aurais pu être prof de maths ET fan de Céline Dion, donc quelque part il l'a échappé belle. O:-)
ps : les parents de l'autre garçon étaient peut-être proches de leur fils mais ça ne suffit pas toujours.
Je pense exactement la même chose que krazy kitty, donc je n'en dirai pas plus.
leymia, dans mes bras ;-).
tirui, moi aussi je m'en fichais du coeff de français (sans parler de celui d'anglais), c'était un bonheur que de pouvoir se plonger dans autre chose que des maths et de la physe...
leymia et crazy kitty, ici c'est un blog sage et chaste, allez vous enlacer un peu plus loin :-))
Je ne sais pas l'âge de fils aîné, mais il me semble que ce sont surtout les filles qui manifestent beaucoup, voire avec outrance à l'adolescence....
Concernant Vic moi je me suis évanuie d'ennui en lisant la légende des siècle.
Cependant, il a écrit un texte fort beau sur la jeunesse qui fait peur aux adultes, que je n'arrive pas à retrouver.
filsainé vient juste d'avoir 13 ans, et il ne s'épanche pas trop niveau sentiments, c'est vrai.
Enregistrer un commentaire